BABY ALONE IN BABYLONE

DATE// 19/11/2020.
LIEU// bar où elvire travaille.
HEURE// minuit douze.
NOMBRE DE PARTICIPANTS// un.
PLUS// mention d'alcool, de tabac.

le show est terminé.
les gens sont ivres de musique, ivres d'alcool, ivres de rires. elvire, el-ivre. la jeune femme aussi sent les effluves de l'eau de vie couler dans ses veines. à force d'accepter tout les verres que les clients lui paient, elle commence à tanguer doucement comme un navire sous les vagues calmes d'une marée qui monte. il était un petit navire, il était un petit navire, qui n'avait ja-ja-jamais navigué, qui n'avait ja-ja-jamais navigué oh-hé oh-hé. elvire est accrochée au port qu'est le derrière du bar, bouteilles à la main pour préparer un énième drink pour les membres du band qui viennent de terminer leur spectacle. elle a les tympans qui bourdonnent. son collègue lui fait signe qu'elle peut aller prendre sa pause. il était temps. avec rapidité, elle quitte son poste derrière le massif comptoir en bois pour fendre la foule et se diriger vers une porte de sortie réservée au staff. elle mène à la ruelle. mal éclairée, pas très invitante. l'endroit préféré d'elvire. elle s'y retrouve toujours en paix. bloquant la porte pour qu'elle ne se referme pas derrière elle, la québécoise fouille dans la poche de sa veste pour en sortir son paquet de cigarettes et son briquet. elle en coince une entre ses lèvres un peu gercées - elle devra se mettre du baume en rentrant - et l'allume.
une bouffée.
recrachée dans les airs pour disparaître dans la noirceur.
la paix. la foutue paix. un moment pour elle.
loin des gens.
juste pour un instant.

pour une critique musicale, lily n'aimait pas beaucoup les concerts. surtout ceux dans les bars. trop de gens. trop de bruits. trop de cliquetis de verres et de commandes criées aux pauvres employés. on lui avait dit que ce bar était bien, qu'il était une salle de spectacle avant d'être un espace où faire la fête. un mensonge. les membres du groupe étaient soûls avant d'entrer en scène. des fans chantaient à tue-tête les chansons alors qu'ils ne connaissaient pas la moitié des paroles. c'était un désastre. une bière lui ferait du bien. la pauvre employée ballottait de tous les côtés. son corps faisait naufrage. à la grande surprise de l'anglaise elle lui servit son liquide ambré sans en échapper une seule goutte. lily sirotait son verre tout en retournant dans la foule. les guitares discordantes lui cassaient les tympans. note à moi-même pour la prochaine fois : penser à des bouchons. pourquoi l'envoyait-on toujours dans les concerts les plus étranges ? pourquoi ne voyait-elle jamais les gros noms, comme Ariane Grande ou Drake ? prisonnière des bars et des petites salles souterraines, elle rêve des arenas et des stades.  
le concert terminé, la foule se dispersa, et lily s'approcha d'un membre du groupe pour lui poser quelques questions quand on la poussa par accident. elle renversa sa bière sur ses vêtements. l'odeur lui donnait déjà la nausée. elle prit son manteau au vestiaire et se dirigea vers les toilettes, avec comme idée d'enlever son chandail et d'enfiler son manteau pour pas se promener à moitié nue. l'unique salle de bain était occupée, entendant des sons louches à l'intérieur. elle n'arrivait pas à saisir si c'était des vomissements ou des gémissements. elle vit la sortie de secours qui l'amena dans une ruelle. le vent nocturne de novembre la fit frissonner. fait vite ma belle, fait vite. elle retira rapidement sa chemise et la lança sur le sol. c'est alors qu'elle remarqua la barmaid, fumant une cigarette, la fixant. lily eut un rire nerveux.

- malaise...

elle enfila rapidement son manteau et regarda l'inconnue.

- tu aurais pu me dire que tu étais là...

elvire s'amuse à faire des ronds avec sa fumée. ils montent haut dans les airs avant de disparaître. elle aimerait elle aussi être éphémère. ne vivre que quelques secondes avant de se dissiper avec grâce par la faute d'un coup de vent. alors que son esprit divague, les yeux rivés vers le ciel, le bruit de la porte qui claque la sort de ses pensées.
criss.
elle tourne la tête pour voir qui a bien pu massacrer son moment et voit une jeune femme retirer directement sa chemise pour la lancer au sol. pas le temps de faire un seul bruit, pas le temps de lui dire pardon mais on a des toilettes pour faire ce genre de chose. l'inconnue finit par remarquer elvire, qui fait tomber quelques cendres sur l'asphalte sale et froid. malaise ? certainement. la remarque la fait doucement rire.

- tu m'as pas vraiment laissé le temps de te dire que j'étais là.

elle se penche pour ramasser la chemise qui pue la bière avant de la tendre à la brunette.

- mauvaise soirée ?

son visage lui était familier. un visage anachronique. trop beau pour un bar qui pue l'alcool, trop pur pour les concerts sales qui s'y tenaient. un visage qu'on n'oubliait pas, et que lily n'avait pas oublié, mais qu'elle, pourtant, n'arrivait pas à situer.
peut-être que ça lui reviendra.
la belle fumait une cigarette, accroupie au sol. c'était son moment seul. la paix à travers le chaos. lily venait de la gâcher et elle s'en voulait, mais elle ne pouvait pas retourner en arrière, l'erreur était faite. elle prit la chemise que l'inconnue lui tendait et la remercia timidement d'un hochement de la tête.

-si ta définition de mauvaise soirée correspond à un concert de merde suivi d'une bière renversée sur ses vêtements par un con, oui, j'ai passé une mauvaise soirée.

lily garda la chemise dans ses mains et fouilla dans les poches de son manteau à la recherche de son paquet de clopes. l'odeur de la cigarette de la belle lui donnait envie, et elle en méritait bien une après ses péripéties. elle fouilla partout deux, quatre et sept fois, mais ne les trouva pas. elle se rappela qu'elle les avait laissés chez elle, sur son comptoir, sachant qu'elle n'allait pas pouvoir résister à l'envie de fumer à un concert.
tant pis.

- tu as une cigarette à me donner ? pardon, j'ai oublié les miennes...

le rire d'elvire se fait entendre dans le silence de la ruelle. elle se relève doucement, cigarette entre les lèvres, pour être à la hauteur de l'inconnue. la barmaid se dit qu'effectivement, la soirée d'la jeune femme a dû être merdique. elle souffle sa bouffée dans le noir de la nuit, ses oreilles bourdonnant encore à la suite du concert de ce soir. le son était mauvais.

- ah, toi aussi t'as trouvé que le concert était à chier ? mes oreilles ont mal. le son est meilleur, d'habitude. et le band était dégueulasse.

la brunette semble chercher un truc dans son manteau et elvire la regarde, un peu amusée. la question posée la fait sourire et elle sort de sa poche son paquet de clopes. ses fins doigts lui tendent.

- tiens. et t'excuse pas, j'fais souvent pareil.

elvire est pas très ordonnée dans la vie. elle fou ses choses n'importe où et n'a aucune mémoire. parfois, quand elle fait le ménage, elle retrouve trois paquets de clopes entamés. elvi la tête en l'air. elvi la perdue. dans la lune. des pieds jusqu'à la pointe de ses cheveux.